Walter Scott

Edinburgh, 15 août 1771 - Castle Abbotsford, Melrose, 21 septembre 1832, Angleterre/Écosse.

La bibliographie est ordonnée par ordre chronologique de parution. Les parutions françaises sont — pour le moment — très incomplètes.


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Nouvelles

Les Aventures de Martin Waldeck / The Fortunes of Martin Waldeck

À la manière des contes romantiques allemands (Märchen), Walter Scott a inséré dans trois de ses romans des récits à tonalité surnaturelle qui isolent certains thèmes de base de l’histoire, imposent des images fortes et laissent entrevoir une conclusion, ou plutôt une morale. « Les Aventures de Martin Waldeck » est le premier de ces trois récits enchâssés. Suivront plus tard deux récits qui portent le nom du narrateur : « Le Récit de Willie le Vagabond » (dans Redgauntlet) et « Le Récit de Donnerhugel » (dans Anne de Geierstein). Dans cette logique, “Martin Waldeck” aurait pu s’intituler « Le Récit de Miss Wardour », la fille du trop crédule Sir Arthur Wardour (en quelque sorte le Martin Waldeck de L’Antiquaire), un baronet désargenté, victime de sa vanité, de son obsession de la richesse, proie trop facile d’un pseudo-adepte allemand des Rose-croix, Dousterswivel, parfois nommé Dusterdeevil par l’un des protagonistes. Comme il convient à ce genre de récit, il est raconté autour d’un feu et présenté par la narratrice de la manière suivante : « le romanesque l’emportait tellement sur le probable dans cette légende, qu’il était impossible qu’une main amie du merveilleux y touchât sans la rendre parfaite dans son genre. » Il n’est pas inutile de préciser que c’est dans les ruines du St Ruth’s Priory que les « Aventures de Martin Waldeck » sont relatées et que c’est à ce même endroit, sourd à la morale de l’histoire, que Sir Arthur Wardour revient, la nuit tombée, accompagné par le “découvreur de trésors” : Dousterswivel.
De tous les contes de Walter Scott, « Les Aventures de Martin Waldeck » est, sans doute, celui qui témoigne le mieux de la période “allemande” de l’écrivain écossais, c’est-à- dire les années 1792-1799. Sensibilisé dès 1788 à la littérature allemande, qui connaît alors une grande vogue en Angleterre, Scott et quelques-uns de ses amis, engagent en 1792 un tuteur allemand, le professeur Anthony Willich. La découverte d’une traduction de Lenore, le fameux poème de Bürger, en 1795 parachève les lectures de Schiller et de Goethe. Poussé par son ami William Erskine, Scott se lance dans la traduction : de Bürger, il adapte Lenore en mars 1796 (William and Helen), en avril The Wild Huntsman (également The Chase d’après Der Wilde Jäger1 et en 1799, publie à Londres, grâce à Matthew Gregory Lewis, qu’il a rencontré à Édimbourg au cours de l’été 1798, une traduction de Goetz von Berlichingen (1771) de Goethe. Dans la foulée, Scott traduit très librement un drame gothique de Veit Weber, The House of Aspen, qu’il espère, avec l’appui de Lewis, faire représenter au théâtre. C’est un échec. Scott se détourne alors la littérature allemande et abandonne tout espoir de se faire un nom sur la scène théâtrale anglaise. L’intérêt qu’il partage avec son ami d’enfance, John Ballantyne, pour les origines des ballades écossaises, inaugure le début d’une carrière de collecteur et de compilateur de sources, qui donnera les trois volumes des Minstrelsy of the Scottish Border (éd. de 1803), avant celle de poète (The Lay of the Last Minstrel, 1805) puis de romancier à l’âge de quarante-cinq ans (Waverley, 1814).
Les ponts avec l’imaginaire allemand ne sont cependant pas complètement coupés. En 1801, M.G. Lewis reprend plusieurs traductions de poèmes allemands (William and Helen, The Wild Huntsman, Frederick and Alice) dans ses Tales of Wonder. Et Scott reviendra sur le “fantastique” allemand dans un célèbre article qui paraît en 1827 dans la Foreign Quaterly Review à propos d’Hoffmann. S’il n’apprécie guère l’excentricité et la « bizarrerie » du conteur berlinois, il avoue au lecteur son admiration pour les Deutsche Sagen des frères Grimm, les contes de Friedrich de la Motte Fouqué, et, influence essentielle pour « Les Aventures de Martin Waldeck », les adaptations très personnelles des contes populaires allemands par J.K.A. Musäus (1735-1787). Mieux encore que son ironie et la facilité apparente de sa prose, Walter Scott apprécie ses idées comme nous l’avons montré par ailleurs 2, notamment, dans le cas qui nous intéresse, par « Der Schatzgräber » (Le Chercheur de trésors) 3. À cette influence, il faudrait sans doute ajouter celle d’une légende de Friedrich Gottschalk, « Die goldenen Kohlen » (Les Charbons en or) publiée à Halle en 1814 dans Die Sagen und Volksmärchen der Deutschen. Dans le récit de Gottschalk, la servante d’un pauvre meunier cherchant à rallumer son feu, découvre un grand brasier de charbonnier au flanc d’une montagne. Là se trouvent des hommes étranges. Elle en rapporte par trois fois des charbons ardents, jusqu’à ce qu’une voix lui crie « Garde-toi bien de revenir ! ». Au matin, le meunier découvre trois lingots d’or dans l’âtre. Comme l’indique l’auteur d’un article consacré à cette hypothèse, Scott a modifié « toute sorte de petits détails, mais il a conservé l’essentiel de la légende et certains passages sont repris presque mot pour mot. D’où tire-t-il l’introduction et la conclusion de l’histoire ? les a-t-il inventées lui-même ? je ne saurais le dire » 4. Nous restons persuadé que Scott a pu combiner ces deux sources.
Enfin, curiosité, le conte de Scott, mieux connu en France qu’en Angleterre, où on le confond à tort avec une traduction de l’allemand 5, a donné en 1835 une imitation due à Aloysius Bertrand. Aujourd’hui perdu, le manuscrit de la seule pièce de théâtre (inédite) de l’auteur de Gaspard de la nuit, intitulée Le Lingot d’or, puis Daniel, drame-ballade en trois actes (en 1835) et plus tard Peeter Waldeck ou la Chute d’un homme (1836), s’inspire directement des « Aventures de Martin Waldeck » 6. On constate comment « au lieu de représenter, comme Walter Scott, le Tentateur sous la forme du rustique et terrible démon de Hartz, avec sa couronne de feuilles de chêne et le pin déraciné qui lui sert de massue, il en fait un voyageur, à la voix tour à tour amère et railleuse, dont les yeux brillent d’une flamme étrange et qui fait naître les lingots d’or sous ses mains. Il y a en lui beaucoup de Méphistophélès. Le jeune bûcheron Daniel, qui manifeste depuis un certain temps un goût inquiétant pour la solitude, se laisse éblouir et le suit. Nous retrouvons le jeune homme à Stuttgart où, sous le nom du Comte Waldeck, haut conseiller d’État, favori de l’Électeur, il peut aspirer aux plus hautes destinées. C’est ici surtout qu’Aloysius Bertrand s’écarte de Walter Scott. Ce dernier faisait échouer sottement son héros dans une entreprise qui n’engageait que sa vanité, et le démon ne réapparaissait que pour le railler de son infortune. Aloysius Bertrand a voulu aller beaucoup plus loin. Le point culminant de l’action qu’il imagine est le moment où le comte est tenté d’assassiner l’Électeur pour prendre sa place et se frayer la voie vers le trône impérial ». En présentant cette pièce au Théâtre des Jeunes Élèves de M. Comte en 1835, Bertrand déclarait avoir fait « un Faust et un Méphistophélès enfantins » 7.


Notes
1. Les deux poèmes sont réunis et publiés en août 1796 : The Chase, William and Helen. Two ballades from the german of G.-A. Bürger, Edinburgh, 1796, in-4° (Walter Scott).
2. Se reporter à notre article « Fortune du Harz : Musäus, Walter Scott et Aloysius Bertrand », in Le Visage Vert (Paris : Joëlle Losfeld) n° 5, p. 85-91, octobre 1998. Cet article précède la première traduction complète du « Chercheur de trésors » de Musäus, illustrée par Albert Robida, la publication d’une légende des frères Grimm et enfin le texte de Walter Scott.
3. Rappelons que Scott est incapable en 1829 au moment où il prépare l’édition annotée de L’Antiquaire d’identifier l’origine (allemande) de son récit.
4. F. Holthausen, « Die Geschichte von Martin Waldeck in W. Scotts “The Antiquary” », in Beiblatt zur Anglia, XXIX, 1918, pp. 280-3 (traduction Elisabeth Willenz). Cité par Coleman Parsons, op. cit., p. 195-196.
5. Ce qui explique qu’il n’ait jamais figuré dans un recueil de nouvelles de Scott depuis le XIXe siècle. Voir la bibliographie.
6. On trouve aussi des traces de l’influence de L’Antiquaire et de “Martin Waldeck” chez Erckmann-Chatrian (« Une Nuit dans les bois », in Contes de la Montagnes, Paris : Michel Lévy, 1860).
7. Sur cette pièce, voir de larges extraits dans Jules Marsan, Bohème romantique (documents inédits), Paris : Éditions des Cahiers Libres, 1929, p. 7-58, et pour les commentaires et les extraits, Max Milner, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire 1772-1861, Paris : Librairie José Corti, 1960, tome 1, p. 594-597.

— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh : Constable, 1816. Le roman a été composé entre décembre 1815 et mai 1816 (date de parution).
— in [Scott] L’Antiquaire, Paris : À la librairie de Henri Nicolle ; Ladvocat, libraire, 1821, vol. II, chap. VII, p. 133-156, traduit de l’anglais par Defauconpret.
— in Tales of Other Days, [éd. anon. (by J.Y.A.)], London : Effingham Wilson, 1830, sous le titre « Waldeck : a Tale from the German », sans mention de l’auteur. À partir de cette date, « The Fortunes of Martin Waldeck » sera considéré par les anthologistes anglais comme une traduction d’un texte anonyme allemand. Elle ne figure donc jamais dans les recueils de contes fantastiques de Walter Scott.
— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh : Robert Cadell, “Edition Magnum Opus”, vol. 5 (octobre 1829) et vol. 6 (novembre 1829), avec des notes supplémentaires concernant l’origine de la nouvelle qui seront publiées dans les éditions françaises après 1830.
— in [Scott] L’Antiquaire, Paris : Furne, “Œuvres complètes de Walter Scott, t. V”, 1830, chap. 18, p. 212-224. Texte révisé de 1821.
— in Contes fantastiques [anthologie anonyme], Avignon : Amédée Chaillot éditeur, [1861].
— in [Scott] Contes fantastiques, éd. Gustave Le Rouge, Paris : Éditions Nilsson, “La Bibliothèque précieuse”, [1932], traduction Defauconpret.

Cette sélection de textes, toujours sous le titre de Contes fantastiques, sera reprise de nombreuses fois et plus ou moins dans son intégralité : Paris : Librairie Gründ, [1936] ; Paris : Éditions de Montsouris, “Collection Dauphine ; 16 ; Les Rois des conteurs”, [1942] ; Étampes : Éditions Marcel Gasnier, “Jeunesse de France illustrée”, 1945 ; Monaco : Les Documents d’Art, “Bibliothèque Mondiale”, 1946 (sous le titre “Le Démon de la forêt de Hartz”), et en 1981, sous le titre Le Berceau du chat, éd. Francis Lacassin, Paris : UGE, “Les Maîtres de l’étrange et de la peur”.

— in Gothic Tales of Terror, vol. 1, Great Britain, éd. Peter Haining, London : Gollancz, 1972, sous le titre « The Demon of the Harz, or The Three Charcoal Burners » (& rééd. 1973, sous le titre Great British Tales of Terror).

Mauvaise attribution à Thomas Peckett Prest, lequel avait intégré ce texte dans sa série The Calendar of Horrors (Londres, 1835).

— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh : Edinburgh University Press ; New York : Columbia University Press, “Edinburgh Edition of the Waverley Novels ; vol. 3”, 1995, éd. David Hewitt [vol. 2, chap. 3 – #18], p. 137-146, notes explicatives p. 489-490. David Hewitt ne propose aucune source précise aux « Aventures de Martin Waldeck ».
— in Le Visage Vert, n° 5, octobre 1998, p. 126-133, traduction d'après la version de 1830. Notes et bibliographie (p. 91) de Xavier Legrand-Ferronnière. Illustration de Philippe Jozelon.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres fantastiques”, 1999, p. 17-28, notice p. 258-262. Texte mis au point par Xavier Legrand-Ferronnière.

Notre édition reprend la traduction de 1830 (par A.J.B. Defauconpret), revue par X. Legrand-Ferronnière, sur l’édition de 1995.

Le Récit de Willie le Vagabond / Wandering Willie’s Tale

« Le Récit de Willie le Vagabond » est certainement le conte “fantastique” le plus connu et le plus unanimement apprécié de Walter Scott. Lord David Cecil y voyait l’un de ses textes les plus achevés, l’une des « gloires de la littérature anglaise », et l’exemple le plus significatif, avec Tam o’Shanter de Burns, de récit populaire de diablerie de toute la littérature écossaise. Le fait que le récit soit entièrement écrit en scots, la langue vernaculaire des Écossais, y fait sans doute beaucoup. On ne peut donc que déplorer, comme pour certains dialogues des « Deux Bouviers » 1 que la traduction française gomme totalement l’un des attraits de ce texte, qui fut un modèle pour d’autres écrivains — le scots étant à l’époque sévèrement limité comme médium littéraire selon Graham Tulloch —, à commencer par Robert Louis Stevenson avec « Thrawn Janet » (« Janet la Boiteuse », 1887).
Le « Récit de Willie le Vagabond » occupe la quasi-totalité de la lettre 11 de Redgauntlet, roman épistolaire dans sa première partie. Commencé sans doute à la fin de l’année 1823, Redgauntlet est reconnu comme le roman le plus autobiographique de Scott (en tout cas les treize premiers chapitres) en ceci que les deux jeunes héros du roman : Darsie Latimer et Allan Fairford, manifestent chacun un aspect de la personnalité de Scott. Au premier, jeune homme aventureux, à la recherche de son identité, de représenter le jeune Scott de l’époque de la collecte des ballades dans les Borders, amateur « d’histoires superstitieuses », échappant ainsi au joug paternel que supporte le second héros, Allan Fairford, son alter ego studieux, apprenti avocat à Édimbourg dans les dernières années du XVIIIe siècle. Darsie Latimer devient progressivement la figure centrale du récit au gré des mystérieuses rencontres qui jalonnent sa route. C’est au cours d’un séjour chez des Quaker, que Darsie Latimer croise le chemin d’un vieux joueur de cornemuse aveugle, Willie Steenson (Stevenson). La relation de Willie des aventures diaboliques de son père chez un vieux laird jacobite nommé sir Robert Redgauntlet constitue le pittoresque « Récit de Willie le Vagabond ». Cette digression narrative peut être lue en elle-même, mais certains de ses éléments occupent dans le roman une place primordiale : que ce soit la charge négative et terrifiante associé au nom des Redgauntlet, ou l’histoire de la marque de naissance qui caractérise la lignée des Redgauntlet. On apprendra plus tard que Darsie Latimer n’est autre que sir Arthur Redgauntlet, fils du héros jacobite sir Henry Redgauntlet, qui s’est distingué à la bataille de Culloden, et qu’il a été désigné par son oncle, Edward Redgauntlet, pour mener la restauration des Stuarts sur le trône.
Le « Récit de Willie…» est un élément de la mosaïque narrative de l’histoire des Redgauntlet, composé avec virtuosité par Walter Scott. Ses échos résonnent dans tout le roman. En voici quelques exemples : placé en face d’Edward Redgauntlet qui dissimule son identité sous le nom de Herries, Darsie Latimer voit la figure de cet « homme singulier (…) [froncer] les sourcils en me regardant d’une façon si effroyable, que personne, après avoir vu un pareil regard ne saurait l’oublier de sa vie. Les rides de son front devinrent livides et presque noires, et prirent en se contractant une forme demi-circulaire, ou plutôt elliptique, à la jonction des sourcils. J’avais entendu décrire un semblable regard dans une vieille histoire de revenants que le hasard voulait qu’on m’eût contée depuis peu, et dans laquelle cette contraction bizarre et terrible des muscles du front était assez bien décrite, comme formant l’image d’un petit fer à cheval.
« Cette histoire, quand elle me fut contée, réveilla une horrible vision de mon enfance, que le regard hideux, alors fixé sur moi, rappela encore à mon souvenir, mais avec beaucoup plus de vivacité. Je fus même tellement surpris et, je dois dire, tellement épouvanté des idées vagues qui étaient réveillées dans mon esprit par ce signe effrayant, que je tins mes yeux attachés sur la figure où il se montrait, comme sur une apparition. Passant alors son mouchoir sur son visage, l’homme mystérieux fit disparaître soudain l’empreinte terrible qui me fascinait. » Quelques pages plus loin : « Je tressaillis ; mais irrité contre moi-même pour cette pusillanimité, je lui répondis [à Herries/Redgauntlet] par un coup d’œil pareil au sien, et voyant ma figure se réfléchir dans un large miroir antique qui se trouvait devant moi, je tressaillis encore en reconnaissant la ressemblance réelle ou imaginaire qu’avait en ce moment mon visage avec celui de Herries. Assurément ma destinée se trouve liée d’une étrange façon à celle de ce bizarre et mystérieux individu ». L’histoire légendaire de la marque de naissance est relatée dans tous ses détails par Herries à Latimer. On apprend également qu’un jeune joueur de violon aveugle était lié en 1745 à sir Henry Redgauntlet avant son exécution. Enfin, Allan Fairford, à la recherche de son ami enlevé par le dénommé Herries, saura tirer des conjectures des éléments fournis par les lettres de Latimer et par ses propres recherches : « Des soupçons étranges et confus s’éveillèrent dans son esprit, au souvenir imparfait de l’histoire racontée par Willie le vagabond, et l’idée qui se présenta à lui fût que Darsie Latimer pourrait bien être le fils de l’infortuné sir Henry » 2. On retrouve trace constamment du « Récit de Willie » dès lors qu’il y a questionnement sur l’identité de Darsie Latimer et de son ravisseur, et loin d’être une digression, ce conte porte symboliquement une question fondamentale du roman. Dans son ouvrage The Laird of Abbotsford, A.N. Wilson 3 a suggéré de façon convaincante que « la manière dont est établie la consanguinité de Latimer et de Herries avait des points communs avec le thème romantique du doppelgänger, plus qu’avec aucun procédé réaliste ». L’auteur établit des parallèles avec Frankenstein de Mary Shelley, et surtout Melmoth de Charles Maturin (1820) qui repose sur le problème de l’identité, celle liée au patronyme, aux origines mais également aux droits attachés à la naissance (le pacte diabolique et l’errance chez Maturin, le pacte aux loyautés fanatiques du passé chez Scott).
L’influence de Scott sur la littérature française, au moins jusqu’en 1830, est à peine soupçonnable. Parmi ses émules, nous avons cité Aloysius Bertrand à propos des « Aventures de Martin Waldeck » ; à son tour « Le Récit de Willie le Vagabond » a inspiré à un autre jeune romantique, Alfred de Musset, une pièce en prose intitulée La Quittance du diable, proposée sans succès au directeur du Théâtre des Nouveautés. D’après Pierre Gastinel 4, le texte de Musset est proche de la traduction. Il a cependant « ajouté une histoire d’amour au conflit d’intérêt. Il a imaginé le personnage d’Eveline, nièce du laird, et l’a rendue amoureuse de Sténie. Bien plus, il a taillé un rôle important au cavalier qui traversait le récit de Scott. » Selon Max Milner qui rend compte assez longuement de cette pièce, Musset « loin d’essayer de réduire le surnaturel [du texte de Scott] l’amplifie à plaisir (…) » 5

Notes
1. T. C. Smout dans An History of the Scottish People, 1560-1830 (Collins and Sons, 1969) précise que le scots est un langage « nettement distinct » de l’anglais pour son vocabulaire, son rythme et ses constructions. Il situe la relation scots/anglais entre la relation danois/norvégien et suédois/norvégien. Dès le début du XVIIe siècle cependant, la langue est “assaillie” par l’anglais, par deux biais : la religion et la politique ; si bien qu’au XVIIIe siècle le scots n’est plus que « la langue des pauvres, du bizarre et du grossier, et de l’humoristique » … et aussi de la poésie (Burns évidemment). Smout remarque ceci de Scott : « Décidément, il est remarquable que Scott, qui pouvait faire si bon usage du scots dans ses dialogues, fut incapable de l’utiliser dans sa poésie ou ses narrations ».
Parallèlement, le même Smout note l’émergence au XVIIIe siècle d’une superbe poésie gaélique écossaise — dont Alexander MacDonald (1700-1768) et Rob Donn (1714-1778) sont deux grands représentants. D’après ce qu’il dit — ou laisse comprendre — le gaélique écossais était, comme l’irlandais, une langue écrite depuis un bon moment. Donc les transcriptions phonétiques de Scott sont vraiment des problèmes de mémoire et de degré de connaissance (voir notamment « Les Deux Bouviers »).
2. Tous les extraits sont tirés de la traduction de Redgauntlet par Albert Montémont (Paris : Menard, 1837, p. 235-236, 245 et 301). Voir également dans ce roman une digression sur la superstition du fer à cheval : p. 293 et note 5.
3. A. N. Wilson, The Laird of Abbotsford ; A View of Sir Walter Scott, Oxford : Oxford University Press, 1980, p. 76-87.
4. Pierre Gastinel, Le Romantisme d’Alfred de Musset, Paris : Librairie Hachette, 1933, réimpr. allemande en 1978, p. 196-201. On apprend que la Quittance… a été imprimée pour la première fois par Maurice Allem dans la Revue Bleue (2-9 mai 1914).
5. Max Milner, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire 1772-1861, Paris : Librairie José Corti, 1960, tome 1, p. 579-583.

— [Autres titres : “A Night in the Grave, or, The Devil’s Receipt” ; “The Feast of Redgauntlet”.
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth Century, Edinburgh : Constable, 1824 (15 juin), vol. 1, p. 265-63.
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth Century, London : Hurst, Robinson, 1824 (15 juin), vol. 1, pp. 265-63.
— in Legends of Terror, Londres, 1826, version légèrement remaniée, sous le titre « A Night in the Grave, or, The Devil’s Receipt ».
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth Century, Edinburgh : Robert Cadell, “Édition Magnum Opus”, vol. 35 (avril 1832).
— in [Œuvres de Walter Scott] Redgaunlet, histoire du XVIIIe siècle, Paris : Ménard, Libraire-éditeur, 1837, traduction de M. Albert Montémont, [lettre XI], p. 125-145 , sous le titre : « Histoire racontée par Willie le voyageur ».
— in [Œuvres de Walter Scott] Redgauntlet, Paris : Furne, Pagnerre, Perrotin, 1859 [20e éd.], T.17, traduction de Defauconpret, p. 114-132, sous le titre « Histoire racontée par Willie le Vagabond ».
— in Contes étranges. Première série, éd. Anonyme, Paris : Les Ordres de la Chevalerie ; Roanne, “coll. littéraire, Les Ordres de la Chevalerie”, 1945, p. 123-145, traduit de l'anglais par Jeanne Fournier-Pargoire.
— in Histoires anglaises de fantômes, éd. E. Rocart et J. Staquet, Bruxelles : Editions « La Boétie », 1945 (sept.), p. 111-132, traduit de l'anglais par E. Rocart et J. Staquet, sous le titre : « Le Conte du vagabond Willie ».
— in Histoires de fantômes, éd. Jacques Goimard & Roland Stragliati, Paris : Presses Pocket [#1463], “La Grande Anthologie du fantastique ; 4”, 1977, p. 119-149 (présentation p. 119-122), traduit de l'anglais par Jeanne Fournier-Pargoire, sous le titre : « L'Histoire de Willie le vagabond ».
— in Les Maîtres du fantastique. Tome 2, éd. Anonyme, [Genève (Suisse)] : Éditions Vernoy & Éditions Famot, 1980, p. 17-42. Sans mention de traducteur. Sous le titre : « Histoire racontée par Willie ».
— in [Scott] The Two Drovers and Other Stories, éd. Graham Tulloch, Oxford, New York : Oxford University Press, “The World’s Classics”, 1987, p. 1-26, notes explicatives p. 341-354.
— in [Scott] Redgauntlet, Edinburgh : Edinburgh University Press ; New York : Columbia University Press, “Edinburgh Edition of the Waverley Novels ; vol. 17”, 1997, éd. G.A.M. Wood & David Hewitt [vol. 1, lettre 11], p. 87-101, notes explicatives p. 471-478.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres fantastiques”, 1999, p. 47-73, notice p. 265-269. Texte mis au point par Xavier Legrand-Ferronnière.

Pour cette édition, aucune traduction ancienne ne nous a semblé vraiment satisfaisante. Nous avons suivi d’assez loin la traduction de Defauconpret (éd. revue de 1859), en nous référant aux éditions annotées de Graham Tulloch (1987) et de David Hewitt (1997). Pour une analyse détaillée des sources de ce conte il faut renvoyer (nécessairement) à l’indispensable Coleman Parsons : « Demonological Background of “Wandering Willie’s Tale” », in Studies in Philology, vol. XXX, 1933, pp. 611-617.

Le Miroir de ma tante Marguerite / My Aunt Margaret’s Mirror

« Le Miroir de ma tante Marguerite » est écrit entre le 7 novembre et le 3 décembre 1827 1. Cette nouvelle est destinée, avec d’autres, à former la seconde série des Chroniques de la Canongate. Mais le 11 décembre, l’éditeur Cadell désapprouve les choix de Scott. La première série ayant connue un succès modeste en regard des ventes “normales” de l’écrivain écossais, c’est un roman, Saint Valentine’s Eve (plus tard réédité sous le titre The Fair Maid of Perth) qui se substitue aux textes rassemblés par Scott. Le 30 janvier 1828, Scott reçoit la visite de Charles Heath qui vient lui proposer la direction éditoriale de la série de Keepsake dont il est propriétaire. Il refuse avec regret, mais propose le lendemain à Heath les textes rejetés par Cadell dont « Le Miroir de ma Tante Marguerite ». Le 13 avril, il se distrait, selon ses propres termes, à arranger « Le Miroir » pour la publication de Charles Heath et se justifie ainsi : « Cadell ne l’aimerait pas mais je ne peux pas me permettre de me voir retourner mes travaux. Ce conte est très bon et l’on dit que cette aventure est effectivement arrivée à lady Primrose, mon arrière grand-mère ayant aidé sa sœur à cette occasion » 2. Le Keepsake for 1829 (publié à la fin de l’année 1828) rassemblera outre « Le Miroir…», « La Chambre tapissée » et « La Mort du laird Jock ».
On constate une fois de plus les précautions prises par Scott pour limiter son implication dans l’élaboration du conte comme de sa croyance au surnaturel, « [de nos jours] réservée aux esprits faibles ou enfants ». En revanche, il prouve une fois de plus qu’il est un conteur hors pair, qui sait prendre plaisir à raconter et à dramatiser des événements auxquels il ne croit guère. La seule partie authentique, la première, nous renvoie des impressions d’enfance, à caractère autobiographique. Le sense of wonder de Scott est lié à l’enfance, le surnaturel et le merveilleux appartiennent à un passé révolu ; ses sujets sont choisis parmi les traditions et les légendes qui lui ont été racontés, jamais il ne les invente.
D’après Graham Tulloch (1987, p. 404), cette histoire est également présente dans Traditions of Edinburgh de Robert Chambers, (London, 1869, p. 76-82).

Notes
1. The Journal of Sir Walter Scott, ed. by W.E.K. Anderson, Oxford : At The Clarendon Press, 1972, p. 388.
2. Idem, p. 457

— [Autres titres : “The Mirror” ; “The Tale of the Mysterious Mirror”.
— in The Keepsake for MDCCCXXIX, ed. Frederic Mansel Reynolds, London : Hurst, Chance, and Co, 1828, p. 1-44. [by the Author of «Waverley»].
— in [Scott] Chronicles of the Canongate, Edinburgh : Robert Cadell, “Édition Magnum Opus”, vol. 41 (octobre 1832).
— in [Œuvres de Walter Scott] Chroniques de la Canongate, première série, Paris : Furne, Pagnerre, Perrotin, 1860 [20e éd.], T.21, traduction de Defauconpret, p. 205-236.
— in L'Angleterre fantastique de Defoe à Wells, éd. Jacques Van Herp, Verviers (Belg.) : André Gérard, Marabout, 1974, p. 79-107, traduit romantique anonyme [en fait, Defauconpret], sous le titre : «Le Miroir de la tante Marguerite».
— in [Scott] The Two Drovers and Other Stories, ed. Graham Tulloch, Oxford, New York : Oxford University Press, “The World’s Classics”, 1987, p. 263-309, notes explicatives p. 404-410.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres fantastiques”, 1999, p. 187-224, notice p. 273-275.

Traduction de Defauconpret revue et corrigée par X. Legrand-Ferronnière d’après la version originale du Keepsake et l’édition annotée de 1987. La traduction d’Albert Montémont (in Le Nain noir, suivi de romans variés et de pièces diverses, Paris : Ménard, libraire-éditeur, 1837) a également été consultée.
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Recueils

La Veuve des Highlands et autres contes surnaturels

Rennes : Terre de Brume, “Terres fantastiques”, 1999 (février), 281 p., traduit de l'anglais par Jean Cohen, A.J.B. Defauconpret, Albert Montémont, Anne-Sylvie Homassel, textes choisis par Xavier Legrand-Ferronnière, préface de Michel Meurger.
Sommaire (4) :

  1. Préface : Scott, le Surnaturel et l’Histoire / Michel Meurger [5/13]
  2. Avertissement sur les notes / Xavier Legrand-Ferronnière [15/16]
  3. Les Aventures de Martin Waldeck
  4. Phantasmagoria
  5. Histoire d’une apparition
  6. Le Récit de Willie le Vagabond
  7. La Veuve des Highlands
  8. Les Deux Bouviers
  9. Le Miroir de ma tante Marguerite
  10. La Chambre tapissée ou la Dame en sac
  11. Le Récit de Donnerhugel
  12. Notes littéraires et bibliographiques / Xavier Legrand-Ferronnière [257/280]
diable

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  1. en cours.

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