Walter Scott
Edinburgh, 15 août 1771 - Castle
Abbotsford, Melrose, 21 septembre 1832,
Angleterre/Écosse.
La bibliographie est ordonnée par ordre chronologique
de parution. Les parutions françaises sont — pour le
moment — très incomplètes.
Nouvelles
Les Aventures de Martin Waldeck / The Fortunes of Martin Waldeck
À la manière des contes romantiques allemands
(Märchen), Walter Scott a inséré dans trois de ses romans
des récits à tonalité surnaturelle qui isolent certains
thèmes de base de l’histoire, imposent des images fortes
et laissent entrevoir une conclusion, ou plutôt une
morale. « Les Aventures de Martin Waldeck » est le
premier de ces trois récits enchâssés. Suivront plus tard
deux récits qui portent le nom du narrateur : « Le Récit
de Willie le Vagabond » (dans Redgauntlet) et « Le
Récit de Donnerhugel » (dans Anne de Geierstein).
Dans cette logique, “Martin Waldeck” aurait pu
s’intituler « Le Récit de Miss Wardour », la fille du
trop crédule Sir Arthur Wardour (en quelque sorte le
Martin Waldeck de L’Antiquaire), un baronet
désargenté, victime de sa vanité, de son obsession de la
richesse, proie trop facile d’un pseudo-adepte allemand
des Rose-croix, Dousterswivel, parfois nommé Dusterdeevil
par l’un des protagonistes. Comme il convient à ce genre
de récit, il est raconté autour d’un feu et présenté par
la narratrice de la manière suivante : « le romanesque
l’emportait tellement sur le probable dans cette légende,
qu’il était impossible qu’une main amie du merveilleux y
touchât sans la rendre parfaite dans son genre. » Il
n’est pas inutile de préciser que c’est dans les ruines
du St Ruth’s Priory que les « Aventures de Martin Waldeck
» sont relatées et que c’est à ce même endroit, sourd à
la morale de l’histoire, que Sir Arthur Wardour revient,
la nuit tombée, accompagné par le “découvreur de trésors”
: Dousterswivel.
De tous les contes de Walter Scott, « Les Aventures de
Martin Waldeck » est, sans doute, celui qui témoigne le
mieux de la période “allemande” de l’écrivain écossais,
c’est-à- dire les années 1792-1799. Sensibilisé dès 1788
à la littérature allemande, qui connaît alors une grande
vogue en Angleterre, Scott et quelques-uns de ses amis,
engagent en 1792 un tuteur allemand, le professeur
Anthony Willich. La découverte d’une traduction de
Lenore, le fameux poème de Bürger, en 1795
parachève les lectures de Schiller et de Goethe. Poussé
par son ami William Erskine, Scott se lance dans la
traduction : de Bürger, il adapte Lenore en mars
1796 (William and Helen), en avril The Wild
Huntsman (également The Chase d’après Der
Wilde Jäger) 1 et en 1799, publie à
Londres, grâce à Matthew Gregory Lewis, qu’il a rencontré
à Édimbourg au cours de l’été 1798, une traduction de
Goetz von Berlichingen (1771) de Goethe. Dans la
foulée, Scott traduit très librement un drame gothique de
Veit Weber, The House of Aspen, qu’il espère, avec
l’appui de Lewis, faire représenter au théâtre. C’est un
échec. Scott se détourne alors la littérature allemande
et abandonne tout espoir de se faire un nom sur la scène
théâtrale anglaise. L’intérêt qu’il partage avec son ami
d’enfance, John Ballantyne, pour les origines des
ballades écossaises, inaugure le début d’une carrière de
collecteur et de compilateur de sources, qui donnera les
trois volumes des Minstrelsy of the Scottish
Border (éd. de 1803), avant celle de poète (The
Lay of the Last Minstrel, 1805) puis de romancier à
l’âge de quarante-cinq ans (Waverley, 1814).
Les ponts avec l’imaginaire allemand ne sont cependant
pas complètement coupés. En 1801, M.G. Lewis reprend
plusieurs traductions de poèmes allemands (William and
Helen, The Wild Huntsman, Frederick and Alice) dans
ses Tales of Wonder. Et Scott reviendra sur le
“fantastique” allemand dans un célèbre article qui paraît
en 1827 dans la Foreign Quaterly Review à propos
d’Hoffmann. S’il n’apprécie guère l’excentricité et la «
bizarrerie » du conteur berlinois, il avoue au lecteur
son admiration pour les Deutsche Sagen des frères
Grimm, les contes de Friedrich de la Motte Fouqué, et,
influence essentielle pour « Les Aventures de Martin
Waldeck », les adaptations très personnelles des contes
populaires allemands par J.K.A. Musäus (1735-1787). Mieux
encore que son ironie et la facilité apparente de sa
prose, Walter Scott apprécie ses idées comme nous l’avons
montré par ailleurs 2, notamment, dans le cas qui
nous intéresse, par « Der Schatzgräber » (Le Chercheur de
trésors) 3. À cette influence, il faudrait
sans doute ajouter celle d’une légende de Friedrich
Gottschalk, « Die goldenen Kohlen » (Les Charbons en or)
publiée à Halle en 1814 dans Die Sagen und
Volksmärchen der Deutschen. Dans le récit de
Gottschalk, la servante d’un pauvre meunier cherchant à
rallumer son feu, découvre un grand brasier de
charbonnier au flanc d’une montagne. Là se trouvent des
hommes étranges. Elle en rapporte par trois fois des
charbons ardents, jusqu’à ce qu’une voix lui crie «
Garde-toi bien de revenir ! ». Au matin, le meunier
découvre trois lingots d’or dans l’âtre. Comme l’indique
l’auteur d’un article consacré à cette hypothèse, Scott a
modifié « toute sorte de petits détails, mais il a
conservé l’essentiel de la légende et certains passages
sont repris presque mot pour mot. D’où tire-t-il
l’introduction et la conclusion de l’histoire ? les
a-t-il inventées lui-même ? je ne saurais le dire
» 4. Nous restons persuadé que Scott a pu
combiner ces deux sources.
Enfin, curiosité, le conte de Scott, mieux connu en
France qu’en Angleterre, où on le confond à tort avec une
traduction de l’allemand 5, a donné en 1835
une imitation due à Aloysius Bertrand. Aujourd’hui perdu,
le manuscrit de la seule pièce de théâtre (inédite) de
l’auteur de Gaspard de la nuit, intitulée Le
Lingot d’or, puis Daniel, drame-ballade en trois
actes (en 1835) et plus tard Peeter Waldeck ou la
Chute d’un homme (1836), s’inspire directement des «
Aventures de Martin Waldeck » 6. On constate
comment « au lieu de représenter, comme Walter Scott,
le Tentateur sous la forme du rustique et terrible démon
de Hartz, avec sa couronne de feuilles de chêne et le pin
déraciné qui lui sert de massue, il en fait un voyageur,
à la voix tour à tour amère et railleuse, dont les yeux
brillent d’une flamme étrange et qui fait naître les
lingots d’or sous ses mains. Il y a en lui beaucoup de
Méphistophélès. Le jeune bûcheron Daniel, qui manifeste
depuis un certain temps un goût inquiétant pour la
solitude, se laisse éblouir et le suit. Nous retrouvons
le jeune homme à Stuttgart où, sous le nom du Comte
Waldeck, haut conseiller d’État, favori de l’Électeur, il
peut aspirer aux plus hautes destinées. C’est ici surtout
qu’Aloysius Bertrand s’écarte de Walter Scott. Ce dernier
faisait échouer sottement son héros dans une entreprise
qui n’engageait que sa vanité, et le démon ne
réapparaissait que pour le railler de son infortune.
Aloysius Bertrand a voulu aller beaucoup plus loin. Le
point culminant de l’action qu’il imagine est le moment
où le comte est tenté d’assassiner l’Électeur pour
prendre sa place et se frayer la voie vers le trône
impérial ». En présentant cette pièce au Théâtre des
Jeunes Élèves de M. Comte en 1835, Bertrand déclarait
avoir fait « un Faust et un Méphistophélès
enfantins » 7.
Notes
1. Les deux poèmes sont réunis et publiés en août
1796 : The Chase, William and Helen. Two ballades from
the german of G.-A. Bürger, Edinburgh, 1796, in-4°
(Walter Scott).
2. Se reporter à notre article « Fortune du Harz :
Musäus, Walter Scott et Aloysius Bertrand », in Le
Visage Vert (Paris : Joëlle Losfeld) n° 5, p. 85-91,
octobre 1998. Cet article précède la première traduction
complète du « Chercheur de trésors » de Musäus, illustrée
par Albert Robida, la publication d’une légende des
frères Grimm et enfin le texte de Walter Scott.
3. Rappelons que Scott est incapable en 1829 au
moment où il prépare l’édition annotée de
L’Antiquaire d’identifier l’origine
(allemande) de son récit.
4. F. Holthausen, « Die Geschichte von Martin
Waldeck in W. Scotts “The Antiquary” », in Beiblatt
zur Anglia, XXIX, 1918, pp. 280-3 (traduction
Elisabeth Willenz). Cité par Coleman Parsons, op.
cit., p. 195-196.
5. Ce qui explique qu’il n’ait jamais figuré dans
un recueil de nouvelles de Scott depuis le XIXe siècle.
Voir la bibliographie.
6. On trouve aussi des traces de l’influence de
L’Antiquaire et de “Martin Waldeck” chez
Erckmann-Chatrian (« Une Nuit dans les bois », in
Contes de la Montagnes, Paris : Michel Lévy,
1860).
7. Sur cette pièce, voir de larges extraits dans
Jules Marsan, Bohème romantique (documents
inédits), Paris : Éditions des Cahiers Libres, 1929,
p. 7-58, et pour les commentaires et les extraits, Max
Milner, Le Diable dans la littérature française de
Cazotte à Baudelaire 1772-1861, Paris : Librairie
José Corti, 1960, tome 1, p. 594-597.
— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh :
Constable, 1816. Le roman a été composé entre décembre
1815 et mai 1816 (date de parution).
— in [Scott] L’Antiquaire, Paris : À la librairie
de Henri Nicolle ; Ladvocat, libraire, 1821, vol. II,
chap. VII, p. 133-156, traduit de l’anglais par
Defauconpret.
— in Tales of Other Days, [éd. anon. (by J.Y.A.)],
London : Effingham Wilson, 1830, sous le titre « Waldeck
: a Tale from the German », sans mention de l’auteur. À
partir de cette date, « The Fortunes of Martin Waldeck »
sera considéré par les anthologistes anglais comme une
traduction d’un texte anonyme allemand. Elle ne figure
donc jamais dans les recueils de contes fantastiques de
Walter Scott.
— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh : Robert
Cadell, “Edition Magnum Opus”, vol. 5 (octobre 1829) et
vol. 6 (novembre 1829), avec des notes supplémentaires
concernant l’origine de la nouvelle qui seront publiées
dans les éditions françaises après 1830.
— in [Scott] L’Antiquaire, Paris : Furne, “Œuvres
complètes de Walter Scott, t. V”, 1830, chap. 18, p.
212-224. Texte révisé de 1821.
— in Contes fantastiques [anthologie
anonyme], Avignon : Amédée Chaillot éditeur, [1861].
— in [Scott] Contes fantastiques, éd. Gustave Le
Rouge, Paris : Éditions Nilsson, “La Bibliothèque
précieuse”, [1932], traduction Defauconpret.
Cette sélection de textes, toujours sous le titre de Contes fantastiques, sera reprise de nombreuses fois et plus ou moins dans son intégralité : Paris : Librairie Gründ, [1936] ; Paris : Éditions de Montsouris, “Collection Dauphine ; 16 ; Les Rois des conteurs”, [1942] ; Étampes : Éditions Marcel Gasnier, “Jeunesse de France illustrée”, 1945 ; Monaco : Les Documents d’Art, “Bibliothèque Mondiale”, 1946 (sous le titre “Le Démon de la forêt de Hartz”), et en 1981, sous le titre Le Berceau du chat, éd. Francis Lacassin, Paris : UGE, “Les Maîtres de l’étrange et de la peur”.
— in Gothic Tales of Terror, vol. 1, Great Britain, éd. Peter Haining, London : Gollancz, 1972, sous le titre « The Demon of the Harz, or The Three Charcoal Burners » (& rééd. 1973, sous le titre Great British Tales of Terror).
Mauvaise attribution à Thomas Peckett Prest, lequel avait intégré ce texte dans sa série The Calendar of Horrors (Londres, 1835).
— in [Scott] The Antiquary, Edinburgh :
Edinburgh University Press ; New York : Columbia
University Press, “Edinburgh Edition of the Waverley
Novels ; vol. 3”, 1995, éd. David Hewitt [vol. 2, chap. 3
– #18], p. 137-146, notes explicatives p. 489-490. David
Hewitt ne propose aucune source précise aux « Aventures
de Martin Waldeck ».
— in Le Visage Vert, n° 5, octobre
1998, p. 126-133, traduction d'après la version de
1830. Notes et bibliographie (p. 91) de Xavier
Legrand-Ferronnière. Illustration de Philippe Jozelon.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes
surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres
fantastiques”, 1999, p. 17-28, notice p. 258-262.
Texte mis au point par Xavier
Legrand-Ferronnière.
Notre édition reprend la traduction de 1830 (par A.J.B. Defauconpret), revue par X. Legrand-Ferronnière, sur l’édition de 1995.
Le Récit de Willie le Vagabond / Wandering Willie’s Tale
« Le Récit de Willie le Vagabond » est certainement
le conte “fantastique” le plus connu et le plus
unanimement apprécié de Walter Scott. Lord David Cecil y
voyait l’un de ses textes les plus achevés, l’une des «
gloires de la littérature anglaise », et l’exemple le
plus significatif, avec Tam o’Shanter de Burns, de récit
populaire de diablerie de toute la littérature écossaise.
Le fait que le récit soit entièrement écrit en scots, la
langue vernaculaire des Écossais, y fait sans doute
beaucoup. On ne peut donc que déplorer, comme pour
certains dialogues des « Deux Bouviers »
1 que la traduction française gomme
totalement l’un des attraits de ce texte, qui fut un
modèle pour d’autres écrivains — le scots étant à
l’époque sévèrement limité comme médium littéraire selon
Graham Tulloch —, à commencer par Robert Louis Stevenson
avec « Thrawn Janet » (« Janet la Boiteuse », 1887).
Le « Récit de Willie le Vagabond » occupe la
quasi-totalité de la lettre 11 de Redgauntlet,
roman épistolaire dans sa première partie. Commencé sans
doute à la fin de l’année 1823, Redgauntlet est
reconnu comme le roman le plus autobiographique de Scott
(en tout cas les treize premiers chapitres) en ceci que
les deux jeunes héros du roman : Darsie Latimer et Allan
Fairford, manifestent chacun un aspect de la personnalité
de Scott. Au premier, jeune homme aventureux, à la
recherche de son identité, de représenter le jeune Scott
de l’époque de la collecte des ballades dans les Borders,
amateur « d’histoires superstitieuses », échappant ainsi
au joug paternel que supporte le second héros, Allan
Fairford, son alter ego studieux, apprenti avocat à
Édimbourg dans les dernières années du XVIIIe siècle.
Darsie Latimer devient progressivement la figure centrale
du récit au gré des mystérieuses rencontres qui jalonnent
sa route. C’est au cours d’un séjour chez des Quaker, que
Darsie Latimer croise le chemin d’un vieux joueur de
cornemuse aveugle, Willie Steenson (Stevenson). La
relation de Willie des aventures diaboliques de son père
chez un vieux laird jacobite nommé sir Robert Redgauntlet
constitue le pittoresque « Récit de Willie le Vagabond ».
Cette digression narrative peut être lue en elle-même,
mais certains de ses éléments occupent dans le roman une
place primordiale : que ce soit la charge négative et
terrifiante associé au nom des Redgauntlet, ou l’histoire
de la marque de naissance qui caractérise la lignée des
Redgauntlet. On apprendra plus tard que Darsie Latimer
n’est autre que sir Arthur Redgauntlet, fils du héros
jacobite sir Henry Redgauntlet, qui s’est distingué à la
bataille de Culloden, et qu’il a été désigné par son
oncle, Edward Redgauntlet, pour mener la restauration des
Stuarts sur le trône.
Le « Récit de Willie…» est un élément de la mosaïque
narrative de l’histoire des Redgauntlet, composé avec
virtuosité par Walter Scott. Ses échos résonnent dans
tout le roman. En voici quelques exemples : placé en face
d’Edward Redgauntlet qui dissimule son identité sous le
nom de Herries, Darsie Latimer voit la figure de cet «
homme singulier (…) [froncer] les sourcils en me
regardant d’une façon si effroyable, que personne, après
avoir vu un pareil regard ne saurait l’oublier de sa vie.
Les rides de son front devinrent livides et presque
noires, et prirent en se contractant une forme
demi-circulaire, ou plutôt elliptique, à la jonction des
sourcils. J’avais entendu décrire un semblable regard
dans une vieille histoire de revenants que le hasard
voulait qu’on m’eût contée depuis peu, et dans laquelle
cette contraction bizarre et terrible des muscles du
front était assez bien décrite, comme formant l’image
d’un petit fer à cheval.
« Cette histoire, quand elle me fut contée, réveilla une
horrible vision de mon enfance, que le regard hideux,
alors fixé sur moi, rappela encore à mon souvenir, mais
avec beaucoup plus de vivacité. Je fus même tellement
surpris et, je dois dire, tellement épouvanté des idées
vagues qui étaient réveillées dans mon esprit par ce
signe effrayant, que je tins mes yeux attachés sur la
figure où il se montrait, comme sur une apparition.
Passant alors son mouchoir sur son visage, l’homme
mystérieux fit disparaître soudain l’empreinte terrible
qui me fascinait. » Quelques pages plus loin : « Je
tressaillis ; mais irrité contre moi-même pour cette
pusillanimité, je lui répondis [à Herries/Redgauntlet]
par un coup d’œil pareil au sien, et voyant ma figure se
réfléchir dans un large miroir antique qui se trouvait
devant moi, je tressaillis encore en reconnaissant la
ressemblance réelle ou imaginaire qu’avait en ce moment
mon visage avec celui de Herries. Assurément ma destinée
se trouve liée d’une étrange façon à celle de ce bizarre
et mystérieux individu ». L’histoire légendaire de la
marque de naissance est relatée dans tous ses détails par
Herries à Latimer. On apprend également qu’un jeune
joueur de violon aveugle était lié en 1745 à sir Henry
Redgauntlet avant son exécution. Enfin, Allan Fairford, à
la recherche de son ami enlevé par le dénommé Herries,
saura tirer des conjectures des éléments fournis par les
lettres de Latimer et par ses propres recherches : « Des
soupçons étranges et confus s’éveillèrent dans son
esprit, au souvenir imparfait de l’histoire racontée par
Willie le vagabond, et l’idée qui se présenta à lui fût
que Darsie Latimer pourrait bien être le fils de
l’infortuné sir Henry » 2. On retrouve
trace constamment du « Récit de Willie » dès lors qu’il y
a questionnement sur l’identité de Darsie Latimer et de
son ravisseur, et loin d’être une digression, ce conte
porte symboliquement une question fondamentale du roman.
Dans son ouvrage The Laird of Abbotsford, A.N.
Wilson 3 a suggéré de façon convaincante
que « la manière dont est établie la consanguinité de
Latimer et de Herries avait des points communs avec le
thème romantique du doppelgänger, plus qu’avec aucun
procédé réaliste ». L’auteur établit des parallèles avec
Frankenstein de Mary Shelley, et surtout Melmoth
de Charles Maturin (1820) qui repose sur le problème de
l’identité, celle liée au patronyme, aux origines mais
également aux droits attachés à la naissance (le pacte
diabolique et l’errance chez Maturin, le pacte aux
loyautés fanatiques du passé chez Scott).
L’influence de Scott sur la littérature française, au
moins jusqu’en 1830, est à peine soupçonnable. Parmi ses
émules, nous avons cité Aloysius Bertrand à propos des «
Aventures de Martin Waldeck » ; à son tour « Le Récit de
Willie le Vagabond » a inspiré à un autre jeune
romantique, Alfred de Musset, une pièce en prose
intitulée La Quittance du diable, proposée sans
succès au directeur du Théâtre des Nouveautés. D’après
Pierre Gastinel 4, le texte de Musset
est proche de la traduction. Il a cependant « ajouté une
histoire d’amour au conflit d’intérêt. Il a imaginé le
personnage d’Eveline, nièce du laird, et l’a rendue
amoureuse de Sténie. Bien plus, il a taillé un rôle
important au cavalier qui traversait le récit de Scott. »
Selon Max Milner qui rend compte assez longuement de
cette pièce, Musset « loin d’essayer de réduire le
surnaturel [du texte de Scott] l’amplifie à plaisir (…) »
5
Notes
1. T. C. Smout dans An History of the
Scottish People, 1560-1830 (Collins and Sons, 1969)
précise que le scots est un langage « nettement distinct
» de l’anglais pour son vocabulaire, son rythme et ses
constructions. Il situe la relation scots/anglais entre
la relation danois/norvégien et suédois/norvégien. Dès le
début du XVIIe siècle cependant, la langue est
“assaillie” par l’anglais, par deux biais : la religion
et la politique ; si bien qu’au XVIIIe siècle le scots
n’est plus que « la langue des pauvres, du bizarre et du
grossier, et de l’humoristique » … et aussi de la poésie
(Burns évidemment). Smout remarque ceci de Scott : «
Décidément, il est remarquable que Scott, qui pouvait
faire si bon usage du scots dans ses dialogues, fut
incapable de l’utiliser dans sa poésie ou ses narrations
».
Parallèlement, le même Smout note l’émergence au XVIIIe
siècle d’une superbe poésie gaélique écossaise — dont
Alexander MacDonald (1700-1768) et Rob Donn (1714-1778)
sont deux grands représentants. D’après ce qu’il dit — ou
laisse comprendre — le gaélique écossais était, comme
l’irlandais, une langue écrite depuis un bon moment. Donc
les transcriptions phonétiques de Scott sont vraiment des
problèmes de mémoire et de degré de connaissance (voir
notamment « Les Deux Bouviers »).
2. Tous les extraits sont tirés de la
traduction de Redgauntlet par Albert Montémont
(Paris : Menard, 1837, p. 235-236, 245 et 301). Voir
également dans ce roman une digression sur la
superstition du fer à cheval : p. 293 et note 5.
3. A. N. Wilson, The Laird of
Abbotsford ; A View of Sir Walter Scott, Oxford :
Oxford University Press, 1980, p. 76-87.
4. Pierre Gastinel, Le Romantisme
d’Alfred de Musset, Paris : Librairie Hachette, 1933,
réimpr. allemande en 1978, p. 196-201. On apprend que la
Quittance… a été imprimée pour la première fois
par Maurice Allem dans la Revue Bleue (2-9 mai
1914).
5. Max Milner, Le Diable dans la
littérature française de Cazotte à Baudelaire
1772-1861, Paris : Librairie José Corti, 1960, tome
1, p. 579-583.
— [Autres titres : “A Night in the Grave, or, The
Devil’s Receipt” ; “The Feast of Redgauntlet”.
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth
Century, Edinburgh : Constable, 1824 (15 juin), vol.
1, p. 265-63.
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth
Century, London : Hurst, Robinson, 1824 (15 juin),
vol. 1, pp. 265-63.
— in Legends of Terror, Londres, 1826, version
légèrement remaniée, sous le titre « A Night in the
Grave, or, The Devil’s Receipt ».
— in [Scott] Redgauntlet : A Tale of the Eighteenth
Century, Edinburgh : Robert Cadell, “Édition Magnum
Opus”, vol. 35 (avril 1832).
— in [Œuvres de Walter Scott] Redgaunlet, histoire du
XVIIIe siècle, Paris : Ménard, Libraire-éditeur,
1837, traduction de M. Albert Montémont, [lettre XI], p.
125-145 , sous le titre : « Histoire racontée par Willie
le voyageur ».
— in [Œuvres de Walter Scott] Redgauntlet, Paris :
Furne, Pagnerre, Perrotin, 1859 [20e éd.], T.17,
traduction de Defauconpret, p. 114-132, sous le titre «
Histoire racontée par Willie le Vagabond ».
— in Contes
étranges. Première série, éd. Anonyme, Paris :
Les Ordres de la Chevalerie ; Roanne, “coll. littéraire,
Les Ordres de la Chevalerie”, 1945, p. 123-145, traduit
de l'anglais par Jeanne Fournier-Pargoire.
— in Histoires
anglaises de fantômes, éd. E. Rocart et J.
Staquet, Bruxelles : Editions « La Boétie », 1945
(sept.), p. 111-132, traduit de l'anglais par E. Rocart
et J. Staquet, sous le titre : « Le Conte du vagabond
Willie ».
— in Histoires
de fantômes, éd. Jacques Goimard & Roland
Stragliati, Paris : Presses Pocket [#1463], “La Grande
Anthologie du fantastique ; 4”, 1977, p. 119-149
(présentation p. 119-122), traduit de l'anglais par
Jeanne Fournier-Pargoire, sous le titre : « L'Histoire de
Willie le vagabond ».
— in Les
Maîtres du fantastique. Tome 2, éd. Anonyme,
[Genève (Suisse)] : Éditions Vernoy & Éditions Famot,
1980, p. 17-42. Sans mention de traducteur. Sous le titre
: « Histoire racontée par Willie ».
— in [Scott] The Two Drovers and Other Stories,
éd. Graham Tulloch, Oxford, New York : Oxford University
Press, “The World’s Classics”, 1987, p. 1-26, notes
explicatives p. 341-354.
— in [Scott] Redgauntlet, Edinburgh : Edinburgh
University Press ; New York : Columbia University Press,
“Edinburgh Edition of the Waverley Novels ; vol. 17”,
1997, éd. G.A.M. Wood & David Hewitt [vol. 1, lettre
11], p. 87-101, notes explicatives p. 471-478.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes
surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres
fantastiques”, 1999, p. 47-73, notice p. 265-269.
Texte mis au point par Xavier
Legrand-Ferronnière.
Pour cette édition, aucune traduction ancienne ne nous a semblé vraiment satisfaisante. Nous avons suivi d’assez loin la traduction de Defauconpret (éd. revue de 1859), en nous référant aux éditions annotées de Graham Tulloch (1987) et de David Hewitt (1997). Pour une analyse détaillée des sources de ce conte il faut renvoyer (nécessairement) à l’indispensable Coleman Parsons : « Demonological Background of “Wandering Willie’s Tale” », in Studies in Philology, vol. XXX, 1933, pp. 611-617.
Le Miroir de ma tante Marguerite / My Aunt Margaret’s Mirror
« Le Miroir de ma tante Marguerite » est écrit entre
le 7 novembre et le 3 décembre 1827 1. Cette
nouvelle est destinée, avec d’autres, à former la seconde
série des Chroniques de la Canongate. Mais le 11
décembre, l’éditeur Cadell désapprouve les choix de
Scott. La première série ayant connue un succès modeste
en regard des ventes “normales” de l’écrivain écossais,
c’est un roman, Saint Valentine’s Eve (plus tard
réédité sous le titre The Fair Maid of Perth) qui
se substitue aux textes rassemblés par Scott. Le 30
janvier 1828, Scott reçoit la visite de Charles Heath qui
vient lui proposer la direction éditoriale de la série de
Keepsake dont il est propriétaire. Il refuse avec regret,
mais propose le lendemain à Heath les textes rejetés par
Cadell dont « Le Miroir de ma Tante Marguerite ». Le 13
avril, il se distrait, selon ses propres termes, à
arranger « Le Miroir » pour la publication de Charles
Heath et se justifie ainsi : « Cadell ne l’aimerait pas
mais je ne peux pas me permettre de me voir retourner mes
travaux. Ce conte est très bon et l’on dit que cette
aventure est effectivement arrivée à lady Primrose, mon
arrière grand-mère ayant aidé sa sœur à cette occasion »
2. Le Keepsake for 1829 (publié à la fin de
l’année 1828) rassemblera outre « Le Miroir…», « La
Chambre tapissée » et « La Mort du laird Jock ».
On constate une fois de plus les précautions prises par
Scott pour limiter son implication dans l’élaboration du
conte comme de sa croyance au surnaturel, « [de nos
jours] réservée aux esprits faibles ou enfants ». En
revanche, il prouve une fois de plus qu’il est un conteur
hors pair, qui sait prendre plaisir à raconter et à
dramatiser des événements auxquels il ne croit guère. La
seule partie authentique, la première, nous renvoie des
impressions d’enfance, à caractère autobiographique. Le
sense of wonder de Scott est lié à l’enfance, le
surnaturel et le merveilleux appartiennent à un passé
révolu ; ses sujets sont choisis parmi les traditions et
les légendes qui lui ont été racontés, jamais il ne les
invente.
D’après Graham Tulloch (1987, p. 404), cette histoire est
également présente dans Traditions of Edinburgh de
Robert Chambers, (London, 1869, p. 76-82).
Notes
1. The Journal of Sir Walter Scott, ed. by
W.E.K. Anderson, Oxford : At The Clarendon Press, 1972,
p. 388.
2. Idem, p. 457
— [Autres titres : “The Mirror” ; “The Tale of the
Mysterious Mirror”.
— in The Keepsake for MDCCCXXIX, ed. Frederic
Mansel Reynolds, London : Hurst, Chance, and Co, 1828, p.
1-44. [by the Author of «Waverley»].
— in [Scott] Chronicles of the Canongate,
Edinburgh : Robert Cadell, “Édition Magnum Opus”, vol. 41
(octobre 1832).
— in [Œuvres de Walter Scott] Chroniques de la
Canongate, première série, Paris : Furne, Pagnerre,
Perrotin, 1860 [20e éd.], T.21, traduction de
Defauconpret, p. 205-236.
— in L'Angleterre
fantastique de Defoe à Wells, éd. Jacques Van
Herp, Verviers (Belg.) : André Gérard, Marabout, 1974, p.
79-107, traduit romantique anonyme [en fait,
Defauconpret], sous le titre : «Le Miroir de la tante
Marguerite».
— in [Scott] The Two Drovers and Other Stories,
ed. Graham Tulloch, Oxford, New York : Oxford University
Press, “The World’s Classics”, 1987, p. 263-309, notes
explicatives p. 404-410.
— in [Scott] La Veuve des Highlands et autres contes
surnaturels, Rennes : Terre de Brume, “Terres
fantastiques”, 1999, p. 187-224, notice p.
273-275.
Traduction de Defauconpret revue et corrigée par X. Legrand-Ferronnière d’après la version originale du Keepsake et l’édition annotée de 1987. La traduction d’Albert Montémont (in Le Nain noir, suivi de romans variés et de pièces diverses, Paris : Ménard, libraire-éditeur, 1837) a également été consultée.
Recueils
La Veuve des Highlands et autres contes surnaturels
Rennes : Terre de Brume, “Terres fantastiques”, 1999
(février), 281 p., traduit de l'anglais par Jean Cohen,
A.J.B. Defauconpret, Albert Montémont, Anne-Sylvie
Homassel, textes choisis par Xavier Legrand-Ferronnière,
préface de Michel Meurger.
Sommaire (4) :
- Préface : Scott, le Surnaturel et l’Histoire / Michel Meurger [5/13]
- Avertissement sur les notes / Xavier Legrand-Ferronnière [15/16]
- Les Aventures de Martin Waldeck
- Phantasmagoria
- Histoire d’une apparition
- Le Récit de Willie le Vagabond
- La Veuve des Highlands
- Les Deux Bouviers
- Le Miroir de ma tante Marguerite
- La Chambre tapissée ou la Dame en sac
- Le Récit de Donnerhugel
- Notes littéraires et bibliographiques / Xavier Legrand-Ferronnière [257/280]
Ressources
- en cours.
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